En 1985, moment où les femmes autochtones ont remporté une victoire historique envers le gouvernement du Canada, voyait le jour pour la première fois une toute petite fille. La communauté abénakise d’Odanak était le centre de son univers.
Lisez l’histoire de Suzie O'BomsawinJ’entends souvent des commentaires désobligeants au sujet des Autochtones. À chaque fois, je me demande si ces gens connaissent l’histoire de ma famille, de ma communauté, de ma nation, des peuples autochtones du Canada. S’ils ont pris le temps de nous connaître avant de nous juger. Je profite de l’opportunité qui m’est accordée, grâce à ce concours de rédaction, pour partager quelques unes des connaissances que j’ai acquises au fil des années au sujet de l’histoire des Autochtones du Canada.
Par ce court texte, je tiens à démontrer que, malgré les difficultés auxquelles nous avons été confrontées – difficultés bien souvent identitaires – les Autochtones sont résilients. Je me suis inspirée de ma propre histoire familiale pour rédiger le texte. Cette histoire n’est pas unique à ma famille, d’autres familles autochtones l’ont également vécue aussi. Mon grand-père m’a raconté plusieurs fois cette histoire, mais cela m’a pris un moment avant d’en comprendre réellement le sens. Je désire maintenant vous la raconter à ma façon. Je tiens ainsi à rendre hommage à mon grand-père et à ma mère en partageant une partie de leur histoire avec la population canadienne. Sans eux, je ne serais pas la personne que je suis maintenant.
Trois personnages et un registre relate l’histoire de trois membres d’une même famille, de trois générations différentes, à qui leur fierté d’être qui ils sont a été remise en question à plusieurs reprises…
Le jeune homme
En 1928 naquit un garçon à l’Hôpital de la Miséricorde. Il fut placé par la suite à la Crèche St-Vincent-de-Paul de Québec. La mère de cet enfant avait dix-huit ans au moment de l’accouchement. Elle retourna chez elle peu de temps après. Elle laissa derrière elle son enfant. Ne croyez pas que ce soit par manque d’amour, mais bien pour avoir adopté des mœurs différentes de ceux prévalant dans la société dominante de l’époque. Trois ans plus tard, au bout du fil, un homme formula une requête à l’un des missionnaires de la Crèche: « Je viens chercher [nom de l’enfant], âgé de 3 ans, né à l’Hôpital de la Miséricorde ». Fin de la conversation. Sur la recommandation de ce missionnaire, l’enfant fut confié à cet homme. On dit qu’il est venu chercher la progéniture familiale, mais nul ne sait si cela est exact ou non. Peut-être direz-vous que ce n’est qu’une simple coïncidence. Possible, mais peu importe, l’enfant grandit, fier de lui et en quête de justice sociale.
Ce n’est qu’en 1951 que le garçon, maintenant devenu un jeune homme, fut adopté légalement par ce couple. Pourquoi ce délai? Nul ne sait. Reste que le jeune homme grandit selon les us et coutumes des Abénakis. Nul doute, il est lui aussi Abénakis. Toutefois, en 1952, le doute s’installe. Qui est ce personnage? Une Assemblée spéciale, présidée par l’Agent des indiens de la Bande des Abénakis de St-François-de-Sales, sera déterminante pour l’identité de celui-ci. Le jeune homme se présente devant l’assemblée et demande personnellement son admission comme membre de cette Bande. Ce n’est plus suffisant d’être Abénakis. S’il veut rester chez lui, parmi les siens et ce, avant d’être émancipé, il doit devenir un indien. Les personnes présentes à l’Assemblée décident de passer au vote. Résultat du vote : 20 pour l’admission, 12 contre. Grâce à ce vote, il n’est finalement pas émancipé. Il n’est pas forcé de quitter le seul endroit au monde qu’il connaisse. Il est maintenant un indien inscrit au registre.
La jeune femme
En 1962, dernière d’une famille de quatre enfants, est venue au monde la fille tant désirée par ce couple aimant. De sa naissance à ses dix-neuf ans, elle passa une grande partie de sa vie dans la réserve indienne d’Odanak. La vie y était bonne auprès de sa famille, de ses amis, de ses racines. Puis vint la période de l’adolescence : les fréquentations, les sorties, les rencontres et finalement, l’amour. On dit qu’on ne contrôle pas l’amour. Que le cœur choisit l’être cher. Puis, étant seulement trois cents dans cette réserve, ça limite les choix. Donc, en 1982, le grand jour arriva! En l’Église d’Odanak, la jeune fille se maria à un non-Abénakis. Des suites de ce mariage, comme cadeau de cette union, le gouvernement du Canada annonce à cette jeune femme qu’elle est maintenant émancipée et qu’elle doit désormais quitter la réserve.
Une bague plus tard et voilà, son nom, au registre est maintenant retiré. Elle n’est plus la bienvenue chez elle. Elle n’est plus indienne. Qui est ce personnage? Elle ne sait plus. D’autant plus qu’autour d’elle, des non-Abénakises ayant marié des Abénakis sont maintenant devenues des indiennes. Elles sont inscrites au registre. Elles habitent la réserve. Elles côtoient les aînés. En résumé : (un Abénakis + une non-Abénakise = une indienne) et (une Abénakise + un non-Abénakis = pas une indienne). Ainsi, faut-il le comprendre, le cœur n’aurait pas dû choisir l’être cher. L’amour a puni la jeune femme.
Cela dit, trois ans plus tard, en 1985, des changements à la Loi sur les indiens font en sorte que son nom est inscrit à nouveau au registre. Elle peut retourner vivre chez elle. Elle est redevenue une indienne.
La petite fille
En 1985, moment où les femmes autochtones ont remporté une victoire historique envers le gouvernement du Canada, voyait le jour pour la première fois une toute petite fille. La communauté abénakise d’Odanak était le centre de son univers. Cette petite fille y grandit en se demandant trop souvent qui elle était. Ni ceci, ni cela non plus. Qui est ce personnage? Elle était de ceux qu’on dit sans statut. Celle qui faisait l’envie de personne. Mais cette petite fille avait un allié aux forces sous-estimées. Il était fort. Il était fier. Une fois arrivé dans la communauté, il avait dû surmonter les mêmes épreuves que la petite fille. Ils avaient tous les deux connus la discrimination. La forme la plus sournoise. Celle qu’on met dans la tête des gens pour mieux diviser les peuples. Celle qui n’existait pas avant. Mais l’allié de la petite fille, au terme de sa vie, lui a transmis un énorme privilège : celui d’être fière d’être Abénakise, envers et contre tous. Il disait souvent : « un jour, ils réaliseront que les nôtres valent plus qu’un registre ». Ils ne se diviseront plus par la pureté du sang, mais s’uniront par leurs liens familiaux. Femmes. Hommes. Jeunes. Adultes. Aînés. Tous ensemble.
Non, cette petite fille n’est pas une indienne. Elle ne connaîtra pas l’émancipation. Elle ne doutera plus de qui elle est. Registre ou pas. Cette petite fille est devenue une jeune femme. Une jeune femme remplie d’espoir, guidée par une grande volonté de changement et par une quête de justice sociale pour son peuple, pour les peuples autochtones. Elle porte le poids des batailles familiales du passé. Mais, ne vous méprenez pas, ce poids ne lui pèse pas sur les épaules. C’est plutôt grâce à lui qu’elle ne baissera jamais les bras.
Le jeune homme, la jeune femme et la petite fille
Ce jeune homme, c’est mon grand-père.
Cette jeune femme, c’est ma mère.
Cette petite fille, c’est moi.
Non, je ne suis pas une indienne.
Je suis Abénakise.
ALN8BASKWA NIA.
Personne ne pourra m’ôter cette fierté d’être qui je suis.
Pas même un registre.
ALN8BASKWA NIA.